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Témoignage: l'histoire de S.


"A trois ans et demi S. était la petite fille parfaite. Sage, calme, obéissante, réservée, tout en étant gaie, follement drôle et délicieusement pétillante. Le pédiatre me disait toujours qu'il se "méfiait" des enfants trop sages. Je trouvais ça étrange !
Elle transpirait beaucoup du dos. Tous les matins son pyjama était trempé. Je l'ai signalé à chaque visite chez le pédiatre. Mais il ne semblait pas trouver ça anormal. Après un long été au Canada (le père de S. est québécois), ma mère m'a fait remarquer que S. était vraiment maigre. Après une visite chez le pédiatre il s'est avéré qu'elle n'avait ni grandi, ni grossi depuis un an et demi. [On m'a affirmé, par la suite, tant à C. qu'à R. D., où elle a été opérée, ou encore S. J., quand nous étions à Montréal, que rien n'empêchait sa croissance, que c'est elle-même qui l'a stoppée, pour tirer le signal d'alarme ! D'autre part on m'a aussi dit, que son tempérament si calme, si réservé, était dû au fait qu'elle s'économisait, qu'elle vivait à moitié. Et de fait, après l'opération elle a changé. Elle a pris de l'assurance, de la confiance en elle, elle était comme libérée]. Ma mère et moi avons accompagné S. (son père étant au Canada à cette période) faire une radio du tibia gauche (référence pour les problèmes de croissance), un test de la sueur (pour détecter la mucoviscidose, c'est à se moment que je me suis dit que le pédiatre pensait à quelque chose de sérieux !), et une radio du thorax. Sur les conseils du pédiatre, nous nous sommes rendues à l'hôpital M. en région parisienne. Les deux premiers examens étant parfaits, il ne restait que la radio du thorax à faire.

Et là le choc, la peur intense qui envahit le corps en une fraction de seconde. Une masse sur le thorax de ma petite fille. Au départ je n'ai pas compris ! Une masse ?? Qu'est-ce que c'est ??? "Un cancer" me balance la radiologue à la figure !!! Et on m'annonce cette terrible nouvelle dans un couloir, sans prendre de gant, devant ma fille, qui est descendue des genoux de ma mère, pour venir sur les miens. La terre s'est ouverte sous mes pieds. On m'a dit de ne pas partir, qu'on avait téléphoné au pédiatre de la petite, et qu'il allait me téléphoner (ce qu'il a fait des heures plus tard !!). Et là je suis devenue une automate. Aller inscrire la petite à l'hôpital, faire les démarches administratives, téléphoner au père de la petite (le réveiller en pleine nuit, 6h de décalage horaire!), téléphoner à ma meilleure amie. Avoir l'impression d'être en dehors du reste. Ne pas comprendre pourquoi les gens rient, parlent, vivent sans se soucier de rien. MA FILLE A UN CANCER ! Et tout continue.
Retour en pédiatrie. Et là j'entends tout et m'importe quoi : long séjour à l'hôpital, long traitement, chimiothérapie, radiothérapie, plus d'école (S. avait commencé la maternelle en septembre et nous étions en octobre), raconter toute la vie de ma fille depuis le début de la grossesse, etc. En fin d'après-midi, j'ai été comme aimantée par une radio posée sur une table lumineuse verticale. Je parlais à un des médecins et j'ai vu ! J'ai vu cette masse "énorme" (dix centimètres de diamètre sur un petit thorax !), je me suis tue et j'ai avancé vers cette radio. Je me suis arrêtée, au comptoir des médecins. Je ne pouvais détacher mes yeux de cette radio. Je répétais tout bas: " C'est ma fille, c'est ma fille !" Puis quand un médecin est passé, j'ai dit plus haut: "C'est ma fille ?" Et là, gêné, il a dit oui et tout de suite après je l'ai entendu dire à une infirmière de retirer cette radio de là !
J'ai réussi à obtenir qu'elle passe la nuit à la maison. Nuit affreuse. Pleurs. La regarder dormir. Embrasser son dos. Haïr cette chose en elle. Avoir envie de l'arracher, pour que ça ne soit plus en elle. Pensée obsédante. Enlever ça du corps de ma petite fille, là tout de suite, maintenant !! La journée tourne en boucle dans ma tête. Les voix des médecins, leurs discours approximatifs et peu réconfortants.
Le matin arrive. A peine le pied par terre, l'envie de vomir me prendre. Rien dans l'estomac. J'ai mal. Tout ça est donc vrai. Je veux le dire à personne. Si je le dis, si je dis les mots, c'est vrai. Je ne peux pas le formuler. Comment dire ça ? Ma fille unique, que j'aime à la folie, à un cancer. Qu'est ce que j'ai fait ? Pourquoi me punit-on ? Et c'est précisément là que je me suis dis que si un jour j'avais eu une chance de croire en Dieu, et bien maintenant je savais que jamais ça n'avait de chance d'arriver. Si Dieu existait, il ne permettrait pas que des enfants souffrent, aient des cancers, meurent.

Retour à l'hôpital M.. Je hais cet hôpital (pendant des années j'ai fait des détours pour ne pas passer devant, pour ne pas le voir !), je hais ces médecins incapables, qui ne savent pas quoi me dire, qui ont l'air complètement perdus et dépassés par les évènements. Je l'ai dit souvent par après : quand on ne sait pas on ferme sa .... !
Scanner. La machine est trop forte et le produit brûle S.. Elle pleure et moi aussi. Une seule idée traverse mon esprit. Le service de pédiatrie est au septième. On remonte, je la prends dans mes bras et on saute. Et là, à la fin de l'examen, un médecin, au milieu des cinq, six présents, vient à moi et me dit qu'il ne pense pas qu'il y ait des métastases. Je lui serre fort la main. Je le remercie. Peut-être que je vais attendre avant de sauter !
L'après-midi, nous sommes, sur les conseils de ma mère, dirigées vers C.. Nous sommes un jeudi. Et le jeudi, c'est le jour de Madame H. P., pédiatre. Nous attendons, peu, dans la salle d'attente, avec tous ces enfants qui sont là et qui jouent, s'amusent. On ne dirait pas un hôpital. L'endroit est agréable et beau. S. joue. Elle a, me semble-t-il, déjà changé. Elle a l'air rassuré. C'est étrange, mais je sens qu'elle va bien. Pour ne pas dire mieux !! Je pleure tout ce que je sais. Je ne peux pas m'arrêter. Et bientôt c'est notre tour. Mes larmes s'arrêtent. Madame P. est une petite femme frêle et forte à la fois. J'aime tout de suite son contact. C'est un neuroblastome, a priori sans métastases, tumeur unique qui se nécrose. Cette tumeur est congénitale (la troisième côte, sur laquelle la tumeur est posée, est usée, signe que la tumeur est là depuis longtemps, si la tumeur avait poussé d'un coup les côtes seraient écartées). Des examens vont être faits pour confirmer le diagnostic. Le protocole proposé par Madame P. semble simple et rassurant : opération (à l'hôpital R. D.), et contrôles tous les trois mois la première année, puis tous les quatre mois, enfin tous les six mois, puis une fois par année. Elle précise que la récidive est importante (surtout la première année), mais pas obligatoire et que les contrôles servent à s'assurer que tout va bien. Le marqueur de S. sont les catécholamines. Nous sommes le 10 octobre. Le programme est simple : une semaine d'examens : prélèvement de moelle osseuse, IRM, re-scanner, scintigraphie, échographie, radios, etc. Puis opération (28 octobre). Je demande à Madame P. si S. peut aller à l'école ? « Oui et elle y va demain ! »

S. n'a manqué qu'une semaine d'école. La semaine des examens. Elle a été opéré à R. D. pendant la semaine des vacances de la Toussaint (Une semaine d'hôpital. L'horreur des drains thoraciques !!). Personne n'a su. Je ne voulais pas qu'elle soit perçue comme une enfant malade, fragile. La maîtresse est restée près d'elle dans la cour la semaine de son retour, pour ne pas que les enfants la bousculent, ensuite elle a joué comme les autres dans la cour.
S. a été exemplaire, pas une larme, pas un reproche, pas une plainte, rien. C'est elle qui m'a soutenue, je suis certaine qu'elle a fait ça pour moi. Pour me protéger. Elle l'a toujours fait et continue encore aujourd'hui. Comment aurais-je pu tenir si à chaque examen, à chaque contrôle, elle s'était mise à hurler sa douleur ? Elle s'est tue. Les personnes de mon entourage me trouvaient "si courageuse" !! Je ne manquais jamais de leur dire : "Courageuse moi ! Vous plaisantez !! ELLE, est courageuse, sans elle, sans son courage à elle, jamais je ne tiendrais !" Mais je pense qu'ils ne comprenaient pas ce que je voulais dire.
Ce que j'ai oublié de dire c'est que toute la tumeur n'a pas été enlevée. Le chirurgien a dû laisser un "bout" dans un trou de conjugaison, c'est à dire entre deux vertèbres, trop proche de la moelle épinière pour s'y aventurer. C'est pour cette raison que la récidive était très possible. Cependant, ce qui avait été laissé, s'est entièrement résorbé de lui-même. Quand à la côte sur laquelle la tumeur était posée, elle a mis deux ans pour reprendre sa taille normale, la même durée pour que S. rattrape son retard de croissance.

Aujourd'hui. 9 ans après. S. vient de fêter ses douze ans. Elle va bien. Elle n'a jamais récidivé. Elle a eut de la chance. Nous avons eu de la chance. Cette année pour la première fois nous n'irons pas à C. au mois d'avril. Nous irons en 2006. Et ça sera la dernière fois. C'est à la fois une grande joie et un stress. Et si...
Mais non, je ne veux pas penser à ça.
Toutes ces années S. a été suivie à C. et à S. J. à Montréal. L'approche là-bas n'est pas la même. A la première visite on m'a remis un classeur dans lequel on nous informait sur le neuroblastome. Tous les stades étaient décrits avec les chances de guérison. Exemple : stade 1, niveau 1 = bonne chance de guérison, stade 4, niveau 4 = peu de chance de guérison. Et bien évidemment on vous donne le stade de votre enfant. J'ai trouvé ça hallucinant ! Comment ne pas être à terre quand on vous dit que votre enfant est au stade 4 niveau 4 ? Comment ne pas sauter ?
J'ai apporté ce classeur à Madame P.. Elle l'a lu avec soin et m'a demandé si elle pouvait faire des photocopies. Je lui ai laissé le classeur.
J'avais eu toutes les peines du monde à lui faire dire quel était le stade de S.. Stade 1 niveau 1.
C'est peut-être pour ça que je ne me suis pas inscrite sur la liste. En ai-je le droit ? S. n'a pas eu de chimiothérapie, pas de rayons. « Juste » une opération. Ai-je le droit de me plaindre ? Ai-je le droit d'avoir eu peur ? Et en même temps, ça a été un tel bouleversement dans ma vie, une telle peur, une telle souffrance (la souffrance de « penser » perdre son enfant unique). Je ne sais pas comment me faire comprendre. Mon enfant a eu un cancer, « mais » ce cancer ne l'a pas tué. Suis-je comme les autres parents ayant vécus le « même » traumatisme ? J'ai des sentiments mêles !! Confus !!! Le traumatisme a été tel que je n'ai jamais eu d'autre enfant. Comment un autre enfant aurait pu être à la hauteur de S. ? Et puis pendant des années la peur était là, clouée au ventre ! Je ne fais pas d'enfant pour qu'il soit malade ! J'ai retenue ma respiration pendant des années. A chaque contrôle l'angoisse était au maximum, dès la réception de la convocation pour se rendre à C.. Ca ne fait que peu de temps que je vais à C. l'esprit « libre » (avec un soulagement certain quand on part !!), les deux / trois dernières années, peut-être !
En tout cas, nous avons eu de la chance. S. est vivante, elle va bien. J'en suis heureuse, mais j'ai aussi un sentiment de gêne par rapport aux parents qui n'ont pas eu cette chance. Pendant des années, j'avais un pincement au coeur quand je disais à S. qu'elle avait été chanceuse ! Si elle avait vraiment été chanceuse, elle n'aurait pas eu de cancer !! Mais en même temps elle a été chanceuse !! C'est perturbant.
Pendant des années j'avais de la misère à voir sa cicatrice dans le dos. Ca me faisait mal. Ma fille, l'intégrité de son corps, balafrée. Elle disait que c'était la lune et les étoiles (la marque laissé par les drains). Et puis un jour, elle m'a demandé si elle était partie ! « non, ma belle elle sera toujours là !! ». Ma mère avec son humour qui la caractérise m'a dit un jour pour dédramatiser: " bon o .k. elle ne sera pas streaptiseuse !! "
S. n'a jamais vraiment parlé de son cancer. Je pense qu'au départ elle sentait que le sujet était très douloureux pour moi. J'en parlais à personne. Alors elle a calqué son attitude sur la mienne. Puis, un jour elle m'a demandé si elle pouvait en parler à l'école parce qu'ils travaillaient sur l'hôpital et que la maîtresse avant demandé qui avait déjà été à l'hôpital. S. avait levé la main et dit qu'elle avait été opérée quand elle était petite ( à l'époque elle devait avoir 8/9 ans, je crois). La maîtresse avait demandé : « oui, de quoi ? » « D'un cancer ! » Elle avait jeté un froid !! Le soir S. m'a mitraillée de questions : comment s'appelle le cancer qu'elle avait eu, elle avait quel âge, etc. Et là on en a parlé toutes les deux tranquillement. Je lui ai dit que c'était son histoire et qu'elle avait le droit d'en parler autant qu'elle le désirait. Je lui ai aussi dit pour quelle raison j'avais du mal à le faire, mais qu'elle et moi on était deux personnes distinctes. Aujourd'hui ça n'est plus quelque chose qui me pose problème. Mais je vois que ça effraie souvent les gens, en particulier les parents de jeunes enfants, quand par hasard la discussion tombe sur le sujet. S. est une petite fille (oui je sais elle a douze ans, mais c'est encore une petite fille !!), intelligente, belle, équilibrée, heureuse et c'est un bonheur de chaque jour. Je suis extrêmement fière d'elle, c'est une belle personne. Je l'aime infiniment, passionnément, à la folie.

Je ne peux pas finir ce témoignage sans dire l'admiration que je porte à Madame P.. C'est une femme incroyable. Pendant des années je l'ai appelé (à son insu bien sur !) mon Gourou ! Je buvais ses paroles. Je la vénérais et je la vénère toujours. Elle a toujours été juste, disponible, rassurante, solide (elle qui est si frêle !), drôle. Je l'ai vu à C. à des heures indues. Je l'ai toujours trouvé. Elle a toujours répondu aux milliard de questions dont je la bombardais. Elle et S. ont une relation incroyable. D'une année sur l'autre elle se souvient de tout. Elles reprennent leur discussion là où elles l'avaient laissées. Elles ont une complicité « rigolote » en un médecin et son patient. Entre une adulte et un enfant. On sent que Madame P. l'aime bien, et c'est réciproque. Je suis heureuse de la connaître et de savoir que des personnes comme elles existent. Je ne la remercierai jamais assez.

C.M., le 22 mars 2005.


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